Gabriel Fauré (1845 - 1924)


" La musique consiste à nous élever le plus haut possible au dessus de ce qui est"

Fauré N°1 : Le maître de la mélodie française
Gabriel Fauré

Gabriel Fauré, ayant eu la mauvaise idée d'être contemporain de Debussy et Ravel, a quelque peu souffert auprès de la postérité de l'ombrage de ces grands musiciens plus "révolutionnaires" que lui. On l'a jadis injustement qualifié de musicien mineur mais on est fort heureusement revenu sur cette opinion. Comme on peut le constater en parcourant les maigres bacs des disquaires, on a surtout retenu de lui le célèbre Requiem, qui reste un des sommets de la musique française et de la musique tout court. Oeuvre sublime d'un non-croyant qui donnerait envie de croire au Paradis …

  • In Paradisium extrait du Requiem, version de 1893. Philippe Herreweghe. CD Harmonia Mundi 901292

    Le vaste répertoire des Mélodies est resté plus confidentiel et c'est pourtant par là qu'on devrait commencer pour s'initier à son oeuvre. Ce répertoire est très abordable et quand on l'a un tant soit peu pratiqué, on doit reconnaître que Fauré s'impose comme le maître de la Mélodie française, un genre dans lequel ni Debussy ni Ravel ne l'ont égalé.
    La Mélodie française, ce n'est pas de la chansonnette ! C'est un genre musical aussi sérieux que le Lied allemand, bien que d'un esprit totalement différent.
    Les mélodies les plus parfaites résultent d'une intime fusion de la musique et la poésie. Chose particulièrement difficile car la poésie est déjà musique, et il est toujours risqué de vouloir y superposer une autre musique...
    Le talent du compositeur consiste d'abord à choisir les poèmes à mettre en musique et il faut reconnaître que Fauré s'est rarement trompé dans le choix des auteurs et des textes. Il a eu la sagesse de choisir des poètes "mineurs" (à part Verlaine qui est un cas miraculeux d'osmose totale) pour insuffler une nouvelle vie à des vers pas nécessairement immortels. Albert Samain, Armand Sylvestre, Romain Bussine, Jean de la Ville de Mirmont, Charles van Lerberghe et la Baronne de Brimont, pour ne citer que les moins inconnus, doivent beaucoup à Fauré.

  • Sully Prudhomme (1839 - 1907)
    Le long du quai
    Sully Prudhomme

    Le long du quai, les grands vaisseaux
    Que la houle incline en silence
    Ne prennent pas garde aux berceaux
    Que la main des femmes balance.

    Mais viendra le jour des adieux,
    Car il faut que les femmes pleurent,
    Et que les hommes curieux
    Tentent les horizons qui leurrent.

    Et ce jour-là, les grands vaisseaux
    Fuyant le port qui diminue,
    Sentent leur masse retenue
    Par l'âme des lointains berceaux.

    Sully Prudhomme (1839 - 1907), premier prix Nobel de littérature, bien qu'il ne soit pas totalement tombé dans l'oubli, doit aussi beaucoup à Fauré qui a signé un de ses plus grands tubes avec "Les Berceaux", op. 23 N°1 de 1883 . Le poème, dont le titre original est en fait "Le long du quai", est simple et bien écrit, jouant sur l'opposition un peu mélo des vaisseaux qui tanguent et des berceaux qu'on balance, mais il ne serait jamais passé à la postérité sans le génie de Fauré !
    L'accompagnement obstiné du piano joue sur l'ambiguïté de ce balancement rythmique, à mi chemin entre le bercement et le tangage, tandis que la voix calme au début, se fait soudain véhémente en évoquant les "horizons qui leurrent", illustrés par une mini-tempête au piano, avant de s'achever dans un calme balancement serein ou fataliste.
    Cette miniature de deux minutes et demi est exemplaire de cette fusion totale entre la musique et la poésie évoquée plus haut.
    Cette oeuvre a fait l'objet de très nombreux enregistrements dont voici quelques échantillons. Une collection de berceaux, en quelque sorte :

  • Vaguet (1906) disque Pathé à saphir 21 cm N°265 matrice 51472 GR.
    Malgré les limitations de l'enregistrement acoustique et malgré l'orchestration confuse et pâteuse, l'interprétation sublime de Vaguet franchit le mur du son et du temps !
  • Ninon Vallin (1932) avec Marguerite Long, disque 78 tours Columbia LF 125 matrice CL 4392
  • Claire Croiza (1927) Un enregistrement rarissime. Pour plus d'informations, allez jeter un oeil sur le site de Marston Records . Heureusement qu'il y a encore des étrangers pour sauvegarder le patrimoine discographique français !
  • Camille Maurane (né en 1911) extrait du disque XCP 5001 (1989) Pierre Maillard-Verger, piano.
    Un des plus grands interprètes de Fauré. Sa voix, dite de baryton-martin, possède la tessiture du baryton alliée à la clarté du ténor.
  • Gérard Souzay extrait de l'Intégrale en 4 CDs EMI Classics (1974) avec Elly Ameling, soprano et Dalton Baldwin, piano.
    Un coffret indispensable aux vrais fans de Gabriel !
  • Janet Baker (1988) extrait du CD Hyperion CDA66320 (1988) avec Geoffrey Parsons, piano
  • Barbara Hendricks extrait du double CD EMI Classics "La voix du Ciel" (1993)
  • Jacques Herbillon extrait de l'intégrale des Mélodies enregistrée avec Théodore PARASKIVESCO au piano. Disque 33 tours CALLIOPE 1974.
  • François le Roux extrait du CD REM N°311176XCD (1992) avec Jeff Cohen, piano.
    Une interprétation "moderne" sans les "R" roulés et presque sans aucun vibrato. Très différent des autres versions, mais çà tient la route...
  • Véronique Dietschy avec Philippe Cassard (piano) extrait du CD Adès AD750. Une autre admirable interprétation "moderne".
  • Jacques Bona (basse) avec Jean-Claude Pennetier (piano) extrait du CD EMI Classics "La naissance de Vénus". Sur un tempo très lent, c'est la seule version qui dépasse les 3 minutes. Admirable néanmoins.
  • Georgette France disque 78 tours Music Monde N°COS1002 Orch dir. Geo Kleem (années 30).
    Une version kitsch avec une soprano de variétés et un orchestre hollywoodien qui en fait un peu trop ! Néanmoins délectable.
  • Yves Montand extrait de l'album Montand d'hier et d'aujourd'hui (disque Phonogram 1980) Une version presque a capella avec une orchestration bien maigrichonne. Bref, celà n'ajoute rien à la gloire de Fauré... ni à celle d'Yves Montand, qui manifestement s'est trompé de répertoire !
  • Herman Van Veen, chanteur hollandais Une très belle version dans le style "variétés" avec un sobre accompagnement de guitare.
  • Tino Rossi extraît de l'album "Les plus belles mélodies classiques"(Pathé Marconi 1973). On s'attendait au pire... mais la mélodie est scrupuleusement respectée. On déplore hélas quelques erreurs de phrasé (les hommes cu-u-rieux !). Voilà en tout cas une version bien gentillette qui épargne à l'auditeur les embruns et le vent du large. Bref, une interprétation qui manque quelque peu de souffle !
  • Véronique Gens avec Roger Vignoles au piano sur un CD Virgin (2000) intitulé "Nuit d'étoiles" n° 45360. La version la plus récente de cette oeuvre. Superbe ! On en reste sans voix ...
  • Roger Bourdin Baryton de l'Opéra Comique. Disque 78 t Odéon KI 1543
  • Berthe Montmart Soprano. (source : CD anthologie Fauré Hamburger Archiv für Gesangkünst)
  • Pierre Bernac avec Francis Poulenc au piano (extrait du coffret de 5 Cd Poulenc et ses amis)
  • Charles Panzéra avec sa femme Magdeleine Baillot au piano (Date d'enregistrement non précisée CD Lys)
  • Vincent Le Texier accompagné par Philippe Biros dans un Auvidis Valois V 4747 de 1995
  • Félia Litvine (1902) avec Alfred Cortot au piano. Encore une rarissime rareté publiée par Marston Records

    Et pour terminer, voici une extraordinaire Cinephonie (l'ancêtre du video clip) d'Emille Vuillermoz datant de 1936. Etonnant !

  • Video au format mp4 (Apple - Ipod, Iphone : Nécessite Quicktime Player)
  • Video au format wmv (Windows Media Player ou VLC)

    Déjà 23 versions réunies ici, dont quelques unes très rares ! Si vous avez d'autres versions des Berceaux de Fauré, je suis toujours preneur afin de compléter cette petite collection....


    Fauré N° 2 : Le musicien du XX ème siècle

    Les Berceaux, comme le Parfum impérissable ou les Roses d'Ispahan sont des oeuvres de jeunesse, d'un abord immédiat, pleines de charme, des tubes pour ainsi dire, mais elles n'auraient pas suffi à faire de Fauré l'un des plus grands musiciens français. C'est dans les oeuvres de sa maturité et de sa vieillesse qu'apparaît son génie qui est du même niveau que celui de Beethoven ou de Schubert, bien que dans un style très différent.
    Il m'a fallu longtemps pour découvrir sa musique de piano et sa musique de chambre, un répertoire beaucoup plus difficile d'accès. Il est vrai que le Fauré troisième manière a de quoi dérouter. De la part du maître de la mélodie, on cherche en vain un air qui serait facile à retenir, qu'on pourrait siffler dans la salle de bain ! J'avoue que la première écoute du 13 ème nocturne pour piano, qui est décrit comme un chef d'oeuvre par les spécialistes, m'a laissé perplexe. Etrange, pas de mélodie apparente et pourtant ce n'est pas de la musique dodécaphonique ni de la musique chinoise. Ce n'est qu'à la dixième audition que j'ai commencé à accrocher.

  • Nocturne N° 13 par Jean-Philippe Collard. Disque EMI Classics

    J'ai alors compris que le "vieux Fauré" était un compositeur du XX ème siècle, contrairement au "jeune Fauré" qui était un compositeur de la Belle Epoque, plein de charme et un peu kitsch. Que s'était-il donc passé chez cet homme dont la vie fut à cheval sur 2 siècles ? En fait rien, c'est juste le temps qui avait passé. On avait simplement changé d'époque et la Grande Guerre en avait apporté la preuve douloureuse. Plus rien désormais ne serait comme avant. Il faut dire aussi que Fauré, comme Beethoven, avait été atteint dès 1903 par une douloureuse surdité. Les sons graves et aigus lui parvenaient horriblement déformés et il ne percevait plus -faiblement- que le medium. Et bien qu'il n'entendît jamais ses oeuvres de vieillesse, ses facultés créatrices étaient demeurées intactes. Comme pour Beethoven, ses plus grands chefs d'oeuvre datent des dernières années de sa vie. Et ce sont des oeuvres d'une inspiration très élevée qui ne se livrent pas à la première écoute.

    Le sommet de l'oeuvre de Fauré est certainement atteint avec le 2ème quintette op. 115 pour piano et cordes de 1921. Le troisième mouvement, andante, est une des plus belles choses que je connaisse : une musique extatique où l'on va de la tristesse à la sérénité en passant par la consolation. Une musique impalpable, qui semble parfois nous échapper, mais qui se révèle, évidente, lumineuse, dans les moments où nous en sommes dignes.

    Ecoutez … et vous verrez :

  • Quintette N°2 op. 115 - 3 ème mouvement : andante Quatuor Via Nova, Jean Hubeau piano. Extrait du remarquable coffret de 3 CD Erato N° 4509-96953-2 , indispensable aux fans de Fauré.

    Dernière mise à jour 17 février 2012
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